mardi, décembre 12, 2006

Les évêques chiliens appellent à la sérénité


35'000 cas de torture, plus de 3000 assassinats et disparitions

Santiago de Chile, 11 décembre 2006 (Apic) Alors que les détracteurs et les victimes du régime du dictateur chilien Augusto Pinochet Ugarte fêtaient bruyamment sa disparition dimanche dans les rues de la capitale Santiago, les évêques chiliens ont appelé les fidèles à adopter une "attitude de sérénité" et à vivre ces heures "avec dignité". Mgr Goic, président de la Conférence épiscopale chilienne (CECH), a demandé d'éviter les provocations et a invité les croyants à "élever une prière pour le repos de son âme".

Mgr Alejandro Goic Karmelic a relevé que "au-delà du jugement historique sur sa figure, face à la majesté de la mort inévitable pour tout être humain, l'attitude qui sied est le respect". L'évêque de Rancagua a lancé un appel fraternel à la communauté nationale pour que l'on évite les provocations, en faveur ou contre l'ancien dictateur. Rappelons que selon les rapports sur les violations des droits de l'homme, sous la dictature de Pinochet, on a documenté plus de 35'000 cas de torture et plus de 3'000 personnes assassinées ou "disparues".

Alors qu'il commentait il y a quelques années le rapport de la commission nationale sur la détention politique et la torture, qui a recueilli 35'000 témoignages sur les violations des droits de l'homme perpétrées sous le régime Pinochet (1973-1990), Mgr Goic Karmelic rappelait que "dans la réalité que je vivais moi-même en ces années, surtout à Concepcion, je me rappelle qu'avec l'archevêque Mgr José Manuel Santos et d'autres évêques chiliens, nous signalions de nombreux cas de torture qui entraînèrent l'excommunication de ceux qui la pratiquaient, même s'ils se disaient catholiques."

"Nous fûmes incompris, offensés de mille façons, mais avec le temps, je rends grâce à Dieu, parce qu'en dépassant nos fragilités, nous fîmes tout ce que nous pûmes pour défendre la dignité humaine", déclarait-il alors, en demandant un "profond respect pour les victimes et également pour les bourreaux, parce que beaucoup d'entre eux n'agirent pas à cause d'un mal intrinsèque mais parce qu'on leur ordonnait de faire des choses qu'eux-mêmes condamnaient".

"C'est Dieu, la Providence ou le destin, qui m'a placé ici…"

Pinochet, commandant en chef de l'armée chilienne, après avoir renversé le président démocratiquement élu Salvador Allende, le 11 septembre 1973, lors d'un coup d'Etat sanglant soutenu par les Etats-Unis, s'autoproclama président de la République en 1978.

Bénéficiant de la sympathie de certains secteurs conservateurs de l'Eglise catholique, tant au Chili qu'au Vatican, Pinochet prétendait que c'était "Dieu, la Providence ou le destin, ou comme vous voulez l'appeler, qui m'a placé ici…" Suite à sa défaite électorale lors du plébiscite national, Pinochet fut forcé de remettre la charge présidentielle au démocrate-chrétien Patricio Aylwin le 11 mars 1990, tout en menant le combat politique comme "sénateur à vie".

Son arrestation à Londres puis les procès contre lui au Chili, notamment pour son rôle dans la "Caravane de la Mort", une unité militaire qui parcourait le Chili pour assassiner les opposants, le firent renoncer à son siège de "sénateur à vie" en juillet 2001.

L'armée parle encore de "crise de 1973", pas de coup d'Etat

Outre ses forfaits en matière de droits de l'homme, c'est le dossier d'évasion fiscale vers l'étranger - portant sur plusieurs dizaines de millions de francs – qui va "redimensionner" celui qui voulait se faire passer pour le "sauveur du Chili" face à la menace communiste.

A noter que sur le site internet de l'armée chilienne (www.ejercito.cl), on trouve aujourd'hui encore cette phrase: "Comme conséquence de la crise politique, sociale et économique dans laquelle était arrivé le pays durant le gouvernement socialiste de Salvador Allende, les Forces Armées et de l'Ordre se virent dans l'obligation d'assumer le pouvoir de la Nation le 11 septembre 1973 suite aux demandes des citoyens en général et des pouvoirs publics en particulier".

"Nous devons vivre ces heures avec dignité"

La majorité des Chiliens sont d'accord pour que les pouvoirs publics n'organisent pas des funérailles d'Etat au dictateur défunt ni ne décrètent un deuil officiel. "J'ai personnellement ma propre opinion sur le manque de respect de la dignité humaine sous le gouvernement (de Pinochet), mais nous devons vivre ces heures avec dignité", a déclaré le président de la Conférence épiscopale chilienne. Qui a rappelé que la patrie chilienne "appartient à tout le monde".

Quant à l'évêque d'Iquique, Mgr Marco Antonio Ordenes, il a invité les Chiliens à prier pour le défunt général Augusto Pinochet et pour la "paix et la réconciliation définitive" dans le pays. A Punta Arenas, Mgr Tomas Osvaldo Gonzalez Morales a demandé à la population de dépasser les divisions causées par la figure de l'ancien dictateur. (apic/com/be)

Jacques Berset
Agence de presse internationale catholique