lundi, novembre 27, 2006

LETTRE OUVERTE À LA PRÉSIDENTE MICHELLE BACHELET

Cela fait plusieurs mois que nous nous sommes rencontrées, assises sous le soleil de Quilicura. Vous êtes venue vous joindre à notre famille dans un de ces moments durs de notre vie, le trentième anniversaire de la mort de notre frère, oncle et père, le professeur Manuel Guerrero. Je sais que pour vous aussi c’était une date douloureuse. A cette date fut aussi assassiné José Manuel Parada, le mari d’une de mes meilleures amies, Estela Ortiz. Pour cela, je vous ai crue quand vous avez souligné que notre pays a besoin de construire justice et mémoire. Que la persécution politique, dont vous et votre famille fûtes victimes, n’a pas sa place dans une vraie démocratie, mature et capable de trouver des consensus dans les dissensions. Moi aussi je crois en cela.

Alors, dans un Chili qui respecte les différences, qui promeut la responsabilité civique, qui accueille les laissés pour compte, favorise l’intégration, qui forge des jeunes conscients d’eux mêmes et de la société, et qui sous aucun prétexte ne soutient la discrimination, sans aucun doute, nous aurons aussi des différences, des distances. Des expériences qui divergent, qui nous marquent. Vous êtes fille de général, moi d’ouvrier. Vous fûtes torturée, moi pas.

Mais nous avons aussi des choses en commun. Toutes les deux nous sommes mères et nous avons élevé seules nos enfants. Toutes deux nous rêvons d’un pays différent, à notre manière chacune, de ce qu’il est. Toutes deux nous voulons que nos filles puissent grandir dignes, libres, sans les horreurs que nous avons vécues. Amantes de la vie. Sans blessure ni ressentiment. Sans dette, sans espoir brisé. Sans la sensation d’être dans un pays qui n’arrive pas encore à consolider la démocratie comme un acte quotidien de respect et d’acceptation.
C’est pour tout cela, que je ne comprends pas votre silence, surtout parce que c’est un silence qui protège la discrimination, la persécution politique.

Tout ce que nous combattons, au-delà des sentiers que nous prenons aujourd’hui. Qui sait, peut être, si un jour nous irions jusqu’à marcher ensemble le long de l’Alameda ?

Ma fille, Francesca Vargas, est une très bonne élève du Lycée 1. Elle a une moyenne de 6,8. Peut être même a-t’elle de meilleur notes que vous en avez eues. En fait, elle veut faire médecine. Aujourd’hui, je ne sais pas si elle pourra le faire.

Elle a été exclue, comme d’autres garçons et filles. Et dans aucun bon lycée elle ne sera admise. Je suis professeur et je ne peux pas payer un lycée privé. Francesca, dont le seul délit a été de défendre ses idées politiques, je l’entends aussi parler de mémoire et de justice. Dans un pays pour tous, aujourd’hui je l’entends se taire avant la persécution.

Probablement, quand le conflit scolaire a éclaté en début d’année, vous aviez d’autres préoccupations. Mais moi, ce conflit est ma préoccupation. Je ne comprends pas qu’un gouvernement démocratique permette qu’un ex-ministre de Pinochet et un maire de droite puissent continuer la même politique qu’avant. Je ne le comprends pas.

Allons-nous enseigner à nos enfants qu’il vaut mieux le silence ? Est-ce pour cela que nos pères ont lutté ? La leçon serait-elle que chacun doit sauver sa peau ? Que la trahison compte aussi ? Que si un jeune modeste veut être médecin, la loyauté importe peu ? Que le meilleur compromis est de fermer les yeux devant l’injustice ? Dans ce pays, que voulons-nous ?

La vérité est que je ne sais pas si cela a un sens de se poser d’autres questions.


Vous les connaissez mieux que moi. Vous connaissez aussi vos réponses.


Le fait est que vous pouvez prendre les décisions qui nous rendent le bon sens démocratique et moi pas. Vous pouvez exercer le pouvoir que nous vous avons donné sur le pays et moi pas. Vous nous avez tenu la main à l’endroit où moururent ceux que nous aimions. Faites que cela ait un sens. Que ma fille et ses camarades puissent retourner à leurs salles de classes.

Merci d’avoir lu cette lettre.
Cordialement,

Libertad Welbel, Professeur. Santiago du Chili, 30 octobre 2006.

Traduction :Cecilia Mancilla