lundi, février 20, 2006

Elections au CHILI

Le 11 décembre les 16 millions de Chiliens se rendront aux urnes pour élire un nouveau président. Depuis cinq ans, la politique du président socialiste Ricardo Lagos a fait du Chili le pays le plus dynamique d’amérique Latine. Sa cote de popularité est au plus haut…
Le candidat qui pourrait bénéficier de cette popularité est une candidate : Michelle Bachelet une femme de 54 ans est son héritière au parti socialiste… A cinq jours du vote elle est toujours en tête dans les sondages mais il lui faut faire face à deux candidats et aux conservatismes de la société chilienne… Quinze ans après son départ de la tête de l’état, l’ombre d’Augusto Pinochet flotte toujours sur le Chili…



Les gamins ont revêtu leur tenue de parade… On tient à célébrer avec faste l’anniversaire du village.
San Pedro de Atacama : 5000 habitants, 2000 kilomètres au nord de Santiago, une oasis perdue au cœur du désert le plus sec du monde….

Ici, au fil des siècles les indiens ont accommodé leurs croyances avec la doctrine de l’église catholique… Pour ces paysans la parole du curé est celle de dieu… Ce dimanche c’est l’une des dernières messe avant les élections, le père Sotelo ne peut s’empêcher de mettre en garde les candidats :

Père Ricardo Sotelo, curé de San Pedro de Atacama :
« Aujourd’hui on parle beaucoup des pauvres, mais dans la réalité on ne fait rien pour eux. Beaucoup, pendant les campagnes électorales parlent des démunis. Ils disent « je suis l’ami des pauvres… Une fois les élections terminées pourtant, ces pauvres on les oublie… »

Première à sortir de l’église, c’est l’autre personnalité du village. A San Pedro ce ne sont pas ceux que l’on croit qui commandent… Depuis cinq ans maintenant madame le Maire c’est Sandra Berna Martinez…. Dans un pays comme le Chili, les femmes en politique sont extrêmement rares… plus rares encore dans des coins comme celui là…


Sandra Berna Martinez, maire de San Pedro de Atacama :
« Je crois bien sur que c’est beaucoup plus difficile pour une femme de faire de la politique, en tous cas ça l’a été dans mon cas personnel. Nous les femmes nous sommes observées de très prêt par tout le monde et par les hommes en particulier. Ils attendent toujours le moment où nous n’allons pas tenir nos promesses. Quand on est une femme en politique on doit donc parler moins et travailler plus. Et c’est ce qu’on fait… Le Chili a besoin d’une femme pour diriger le pays mais cette femme aura besoin de tous les chiliens et les chiliennes pour travailler avec elle…»


A Santiago, la capitale, voici celle qui fait trembler tous les machos du Chili. Michèle Bachelet, la candidate de la concertation, la gauche chilienne, celle qui aujourd’hui déjà est au pouvoir. Après 5 années passées à la présidence le mandat de Ricardo Lagos arrive a échéance et c’est elle qu’il a choisi pour lui succéder.

Depuis qu’elle s’est lancée dans la course à la présidentielle, Michèlle Bachelet est en tête dans les sondages. Pour elle, une femme à la présidence ce serait une révolution pour le Chili, pour toute l’Amérique latine même :
« Sans doute que c’est une énorme évolution mais ça reflète ce qui est en cours au Chili. Il y a des femmes intégrées dans la vie sociale : dans les associations, dans les quartiers, des femmes parlementaires… Mais sans doute que la possibilité qu’une femme arrive à la présidence était quelque chose d’impensable il y a quelques années encore.
Je crois que cela répond à l’aspiration des chiliens. Ils veulent continuer sur la voie de notre politique économique, construire une société qui en plus d’une société de progrès soit aussi plus ouverte et plus juste. C’est cela mon projet comme candidate à la présidence. »

Un projet de société a l’opposé de celui qu’elle a connu dans sa jeunesse. Son père, général opposé au coup d’état a été assassiné par les sbires de Pinochet. Quelques années plus tard elle sera arrêtée avec sa mère, torturée puis contrainte à l’exil…

Aujourd’hui toutes les victimes de ces années de dictature sont avec elle… Depuis cet atelier un homme mène campagne a ses côtés : Jorge Insunza, le dernier rejeton d’une grande famille de la politique chilienne. Son père, député communiste, a même été le bras droit du président socialiste Salavador Allende… Jorge lui se présente pour la première fois aux législatives.
Pour son équipe de bénévoles, pas de doute ces élections c’est la gauche qui va les remporter :
« J’ai déjà fait deux campagnes électorales, celles du maire … eh bien il a gagné à chaque fois. Moi je suis un battant…. Et c’est pour ça que je vous dit que Mr Jorge il va gagner lui aussi… »

Alors on s’active. Avant ce soir il faut sortir 1 000 affiches au moins. A la radio, le dernier discours de Salvador Allende : Nous sommes le 11 septembre 1973, le coup d’état du général Pinochet vient de commencer… Dans quelques heures le président Allende se donnera la mort…


Jorge Insunza, candidat député :
« Ce discours est très important pour eux, il les rapproche de leur histoire. Ici c’est un lieu, un quartier, avec une très grande tradition de lutte populaire. Ici vit la population de « LA Victoria ».

La Victoria, dans la banlieue de Santiago c’est le quartier des indomptables, des insoumis…. Fief de toujours de la gauche, il a payé son tribu, exorbitant, à la dictature… Arrestations, tortures, exécutions, aujourd’hui encore les portraits des martyrs s’affichent sur les murs crasseux de la Victoria… Ici, Les gens n’ont plus que ce passé de lutte pour unique fierté. Pour le reste c’est chômage, misère, drogue et violence… Le pays ne compte que 8% de chômeurs,mais il est surtout l’un des plus inégalitaires au monde en ce qui concerne la répartition des revenus…

Erica est une enfant de la victoria, elle a toujours voté a gauche, elle le fera cette fois encore. Elle rentre du travail, quelques amis l’attendent.
Erica vit ici avec son ami, ses deux enfants et sa belle mère… Pas de sécurité sociale, pas d’allocations familiales, pas de retraite plus tard… elle attend beaucoup de Michelle Bachelet :
« Ca marche bien la campagne de Michèle !!! »
« - Bien sur, Michelle c’est la force de la femme… Là, avec elle on va montrer aux garçons ce qu’on sait faire… »

Erica Zunica :
« Je gagne environ 150 euros par mois mais on m’en déduit 15 pour les taxes. Le résultat c’est qu’il est impossible de vivre avec si peu d’argent. Ni ici au Chili, ni nulle part ailleurs »
« Je me bat pour que Michelle gagne parce que c’est la seule et unique qui pourrait réaliser les choses que la gauche n’a pas pu concrétiser jusqu’ici. Pourquoi je ne crois pas à un gouvernement de droite ? Parce que je suis sûre que eux ne vont jamais penser a nous les pauvres… »

Sebastian Pinera lui est une sorte de Bernard Tapie latino. Ce surdoué des affaires est aujourd’hui milliardaire, propriétaire de compagnies aériennes, de chaînes de télévision… Entré très tard en campagne, il grignote chaque jour l’écart qui le sépare de Michèle Bachelet. Sebastian Pinera est devenu l’attraction de cette campagne, les médias suivent chaque déplacement de celui qui s’est donné moins de 100 jours pour convaincre :
« Je veux aller de l’avant, m’adresser à tous les Chiliens et faire face à tous les problèmes qu’ils rencontrent. Je souhaite dessiner une vision du futur qui donne envie a tous les chiliens de s’unir pour accomplir les grands objectifs que j’ai fixé: Créer un million d’emplois, 100 000 nouveaux emplois pendant les 90 premiers jours de mon nouveau gouvernement. »

Le reste de son programme, une économie sur mesure pour les entreprises, séduit tous ceux qui travaillent ici. Les tours d’« El Bosque », le quartier des affaires de Santiago sont le symbole d’une économie chilienne florissante…

Et cette idée donne la sourire a Gustavo Cuevas. Cet avocat d’affaires défend au Chili les intérêts de très grandes entreprises françaises, des banques notamment. Le pays est aujourd’hui est le 5ème au monde le plus ouvert aux investissements étrangers… Une croissance annuelle de plus de 6%, une inflation maîtrisée, le Chili est devenu le pays capitaliste modèle en Amérique du Sud….
Pour Gustavo Cuevas ces succès ont une explication: très tôt, le Chili, a été transformé par Pinochet en laboratoire de l’ultra libéralisme :
« Je pense que Pinochet, lui, n’était pas un grand capitaliste. Mais il a eu la vision du futur de croire dans le système libéral. Et si vous regardez le Chili a été un des premiers pays du tiers monde, qui sortait du socialisme, allié au communisme a l’époque d’Allende, a implanter le libéralisme l’année 73. A l’époque c’était vraiment pas la mode. Aujourd’hui en 2005, c’est partout dans le monde mais en 73 on était un pays isolé… Si on voit la croissance du pays et le mouvement social et culturel qu’il y a eu depuis, eh bien Oui il a eu une vision du futur importante… »

Une vision que ne partage pas Pedro Matta. Lui aussi a été marqué par Pinochet mais dans sa chair. Ici, à la Villa Grimaldi, un centre de détention de l’armée chilienne il a été battu et torturé pendant 13 mois…. C’était en 1975, il n’était encore qu’étudiant et malheureusement pour lui membre du parti socialiste :
« Un grand nombre de mes amis sont morts ici. D’autres ont disparu. Venir dans ce lieu c’est un moyen de leur montrer mon estime, mon respect et mon amour. »

Entre 1973 et 1990 plus de 130 000 personnes ont été arrêtées pour des raisons politiques. Près de 2300 ont été tuées… Augusto Pinochet a marqué son pays au fer blanc, il le marque encore :
« Les réseaux Pinochet aujourd’hui se retrouvent d’abord dans ce que l’on appelle la famille militaire : un groupe d’officiers à la retraite qui se sentent très proches de pinochet. Des hommes qui veulent aussi aider leurs camarades qui ont été jugés et envoyés en prison pour violation des droits de l’homme. Ils font pression sur les candidats aux présidentielles pour qu’ils votent une loi d’amnistie afin de clore ce chapitre de l’histoire en toute impunité.
L’autre réseau Pinochet est lié aux grands chefs d’entreprises et aux propriétaires des médias. Ces gens même s’ils ne sont que très peu nombreux sont extrêmement influents au Chili. Et rien n’est fait sans qu’ils ne soient au courant et sans leur consentement…. »

L’armée chilienne pourtant nous ouvre grand ses portes, c’est le lieutenant colonel Ramirez qui se charge de la visite guidée :
« Nous voici dans le hall d’honneur de l’école militaire. L’école militaire du libérateur Bernardo O’Higgins. Elle a été fondée en 1817. »

Depuis deux siècles c’est de cette école que sortent tous les officiers de l’armée de terre chilienne.
Aujourd’hui les 600 cadets rentrent de manœuvre… C’est de ces même rangs qu’est sorti avant eux Augusto Pinochet, c’est de ces rangs que venaient les officiers qui ont organisé le coup d’état en 1973 qui ont été ensuite pendant 17 ans les indéfectibles soutiens de la dictature.
Un passé peu glorieux, alors bien sur ici on a tendance a réécrire l’histoire :
« Je pense que l’armée en tant qu’institution est restée en marge du gouvernement. Il y a eu évidemment des membres de l’armée au pouvoir : le président et les membres de la junte militaire.
Pourtant la grande majorité de tout l’appareil d’état, et des ministres étaient des civils. Il n’y avait que quelques militaires seulement . Pendant tout ce temps l’armée a exercé son rôle normal. »

Peu de chances avec un tel discours que l’image de l’armée ne change… elle n’a pas même jugé nécessaire de déboulonner la plaque posée par l’ancien dictateur en hommage aux soldats morts le jour du coup d’état. Au Chili, les réseaux Pinochet fonctionnent encore y compris dans la politique. Et ces réseaux aimeraient aujourd’hui encore placer l’un des leurs a la tête de l’état.

Ils ont de l’argent alors ils se paient des hommes de main. Pour une quinzaine d’euros par jour, ils sont chargés chaque matin d’afficher le visage de leur poulain sur tous les boulevards de Santiago. Joaquin Lavin, fils de l’ancien avocat de Pinochet, candidat malheureux aux dernières présidentielles est le candidat de la droite très conservatrice… pas celui des petites gens qui font colleur d’affiche pour gagner quelques sous :
« Moi je vote pas, je suis pas inscrit… Je fais ça pour l’argent. C’est lui qui paye le mieux… »
« Je colle ces affiches pour travailler parce que j’ai deux enfants. C’est rien de politique, ça ne m’intéresse pas… »

Officiellement l’église chilienne non plus ne fait pas de politique… C’est ici, dans l’église St Hélène que pendant des années Augusto Pinochet venait assister à la messe… C’est le père Silva qui veille sur les âmes des habitants de ce quartier, des membres de la grande bourgeoisie chilienne :
« La paroisse ici c’est une paroisse très traditionaliste. Les gens n’aiment pas que le curé ose dire des mots a propos des élections »

Pourtant dans ce pays ou aujourd’hui encore 80% de la population se dit catholique, les liens des candidats avec l’église sont observés à la loupe. Le divorce a été légalisé il y a un an seulement, l’avortement et l’homosexualité sont des sujets tabous…

Pour un homme qui refuse officiellement de se positionner sur la politique, le père Silva a un discours d’une clarté absolue:
« Les catholiques devraient soutenir le candidat qui présente la vision politique la plus imprégnée par le christianisme… Dans ce sens, il y en a deux qui sont chrétiens… La candidate de la gauche elle, je pense qu’elle est chrétienne, elle a du être baptisée, mais si l’on se réfère à ses idées, elle semble plus éloignée des positions catholiques. Les deux autres par contre sont reconnus comme des catholiques pratiquants. Par conséquent, entre Messieurs Lavin et Pinera, nous disposons d’un éventail de choix… »

Des paroissiennes :
« Nous avons réfléchi a un candidat qui nous représente le plus. C’est Lavin, c’est un candidat très catholique… Nous sommes très traditionnels. Contre le divorce, contre l’avortement, on va voter Lavin. »
« Joaquin Lavin… Il défend l’unité de l’église, la famille, il a des frères dans l’église, son père a étudié pendant un an pour devenir prêtre… »

Joaquin Lavin pourtant ne devrait pas être élu. Aujourd’hui la majorité des Chiliens a envie de vivre. Ces élections se joueront sans doute au second tour et il devrait se transformer en un classique duel droite-gauche. Le Chili aura mis 15 années à ne plus avoir peur de Pinochet.
C’est peut-être une femme qui le fera entrer pleinement dans son ère démocratique et devenir un pays comme les autres….

David Muntaner / A. Rossignol / I. Ugarte